Papy, Gisèle, Bibish et Philippe
Par labaratteculturelle | Le 09/02/2017 | Stéphanie Beaudoin
Papy, Gisèle, Bibish et Philippe : party de cuisine pour célébrer ceux qui vivent, là-bas en terre de génocide
Célébrer son 24 heures. Vous avez déjà entendu cette expression? Eh bien moi, c'était la première fois. Célébrer son 24 heures, c'est célébrer que nous sommes encore en vie, dans une ville et un pays qui pourraient offrir moulte occasions de mourir en un tour de cadran; c'est pour ça qu'il faut boire une bonne bière froide! Il y en a même sur la scène…
Au Bic-Congo-Kinshasa, Papy Maurice Mbwiti et son sourire potelé contagieux tiennent le bar, côté jardin. Une affiche en néon s’allume par à-coups-- ah le rythme caractéristique du néon qui s'allume ! C’est le temps pour le public de monter lui-même sur scène se procurer une bonne bière auprès de ce comédien metteur en scène récemment arrivé au Québec. Ou se procurer un roman. J’y reviendrai.
Un spectacle théâtral avec un bar sur scène : et voilà un pouce en l’air pour avoir brisé le quatrième mur de façon surprenante. Je salue d’ailleurs les deux seules personnes qui ont osé s’y rendre pendant la représentation. Il faut croire que le public du Théâtre du Bic n’est peut-être pas totalement à l’aise de débarquer ses habitudes alcoolisées sur scène, sous les projecteurs. Il faut aussi mentionner que le bar est ouvert pendant des segments très intéressants du spectacle, et il semble difficile de s’extirper de l’écoute attentive. À Rimouski et aux alentours, l’on est peut-être moins entraîné.e.s qu’à Kinshasa à jongler avec de nombreuses sources de stimuli tout en gardant notre attention…
Parce qu’à “Kin”, il y en a du bruit, du monde, des odeurs, de l’action. De la mort, et de la VIE. C’est ce qu’a voulu célébrer Marie-Louise Bibish Mumbu dans son roman-- celui en vente au bar sur scène-- Samantha à Kinshasa, duquel est inspiré la production Bibish de Kinshasa.
Au centre de la scène, montées sur deux minces praticables noirs, se trouvent deux chaises de plastique bleu, j’imagine à la mode de “Kin”, qui représentent des sièges d'avion. Le siège de droite, où regarde par le hublot (de notre imagination) Bibish, situe l'action et devient notre point de repère. C'est une femme en suspension entre les souvenirs et les histoires d’une terre natale et les attentes d’une terre nouvelle qui, tout au long du spectacle, parsème des anecdotes kinoises comme autant de cailloux pour un jour retrouver son chemin vers la maison. Le langage en est savoureux pour une oreille néophyte : la proportion parfaite d'expressions et de mots inconnus et ronds pour nous sentir dans l'ailleurs, tout en comprenant l’enjeu des histoires.
Et Bibish, jouée par la comédienne Gisèle Kayembe, sors de l'habitacle du Boeing pour recréer devant nos yeux, devant le simple --et très efficace -- décor de tôle grise, certains espaces de sa ville natale. Des altercations, des célébrations, des bouchons de circulation, des conversations, des commères, des grands-pères, des résistants, des enfants… Et la musique pop congolaise qui se fait présente, qu’elle accompagne en fredonnant. Mais surtout, au rythme de laquelle elle danse doucement son corps, entre certaines scènes : une silhouette tout en rondeur et chaleur, qui se découpe sur la froideur de la tôle.
Et c’est de la cour (du côté cour) que nous provient le fumet du makayabu; on écarquille les narines. Parce qu'en plus d'avoir un bar sur scène, ce spectacle a aussi une cuisine live ! Les chefs sont nul autres que la vraie Bibish, auteure du roman, et Philippe Ducros, metteur en scène du spectacle. Et, en intermittence avec les histoires de Kin, ils jasent politique et culture, en cuisinant de la morue salée. Et on y goûte (à la fin du spectacle), avec les doigts de préférence ! Je comprends, avec tout ce salé--très bon--pourquoi les kinois.e.s ont un tel besoin de bière désaltérante (ce breuvage revient dans plusieurs histoires)...
Un des buts de cette convivialité, outre de faire vivre l'ailleurs jusque dans les sens, est de vulgariser avec amour, pour reprendre les mots de Bibish Mumbu, la pénible situation politique (et ses corollaires) en République « dite » démocratique du Congo (encore une fois les mots de l'auteure). On y démystifie aussi le rôle qu’y joue le Canada, paradis judiciaire de l’industrie minière. On entrecoupe donc, dans les intermèdes de style talk-show que nous présentent Bibish et Philippe, des informations plus personnelles sur la vie de l'auteure, et plus politiques sur la réalité qui nous échappe, nous, ici, au Nord.
J'admire beaucoup ce travail d'information, d’éducation, de sensibilisation et de vulgarisation. Ça semble être la ligne directrice des œuvres des Productions Hôtel-Motel, qu’a fondé Philippe. Mais je tiens à mentionner un malaise, qu’il va s’en dire, est délicat à formuler. Les membres de la distribution nous informent, à la période de questions suivant le spectacle, que les frontières identitaires se mutent en temps de globalization; il n’y a pas de congolais.e.s et de québécois.e.s, mais bien des gens à l'écoute de l'autre et de ses réalités. C'est un message qui résonne profond en moi, en mon envie d'une société plus juste et plus ouverte, à laquelle je crois que peut contribuer un tel spectacle. Cependant, les modèles d’oppression ne sont jamais très loins, et il sont parfois “systématisés” dans des codes culturels qui sont omniprésents. Le fait que toutes les questions posées à Bibish et, en moindre proportion, à Papy Maurice durant la représentation le soient par Philippe, seul blanc à bord, détonne. Loin de moi l'envie d'appuyer sur le bouton de la différence, reste qu’elle est là sous nos yeux, et qu’elle est entre autres le sujet du roman et du spectacle; difficile d’en faire fi. De plus, le rythme des questions semble parfois arrêter Bibish dans le flot de ses réponses, et comme spectatrice, il m’est difficile de ne pas en être quelque peu décontenancée. Je crois que j'aurais aimé que Papy Maurice puisse participer un peu plus, qu'il puisse lui aussi poser des questions.
Ceci dit, je lève mon chapeau à Philippe qui, dans toutes les entrevues, à toutes les opportunités, saisit la tribune pour parler des réalités troublantes qui se passent en République démocratique du Congo pour en exposer les faits. Ce n’est pas tout le monde qui mettrait ce discours en avant même des projets artistiques qu’il souhaite diffuser.
J’ai envie de vous laisser comme nous a laissé Bibish de Kinshasa : avec la voix chaude et vibrante de vérité de Bibish Mumbu qui, le coeur à nu, nous livre un extrait d'un de ses récents textes. On y parle d'amour, de tempêtes de neige, d'une nouvelle réalité au Québec, tout en ressentant la charge des bagages d’une “expatriée” congolaise. En ces temps houleux, levons nos bières à l’ouverture, à l’Autre.
P.S. Merci au Marché du monde pour les jus !
Une chronique de Stéphanie Beaudoin
Dernières chroniques de Stéphanie Beaudoin
Le fils d’Adrien et sa P.artition B.lanche ; comme une symphonie d’entraide et d’empathie pour 6 corps dansants
Par labaratteculturelle | Le 01/02/2018 | Dans Stéphanie Beaudoin
J’écrivais la semaine dernière pour présenter un spectacle qui se voulait une jambette au cynisme ambiant. J’écris cette semaine pour présenter un autre spectacle, qui lui, fait le pari de nous toucher, en nous entraînant dans une réflexion sur l’apaisement, la bonté et le don de soi. Serait-ce une alliance pour apporter lumière en ce début de fin d’hiver ?
J’en serais surprise, mais il y a certainement là de quoi s’abreuver à des imaginaires « qui font du bien » , si c’est ce que vous cherchez, bien sûr ! Alors permettez-moi de vous suggérer un p’tit remontant, si besoin il y a, un remède tout indiqué : une bonne dose de corps qui bougent, qui résonnent, qui s’écoutent. Venez donc faire le vide et le plein à la fois, ce vendredi, avec P.artition B.lanche, au Théâtre du Bic !
Dévoiler l'ombre ... et la lumière ?
Par labaratteculturelle | Le 25/01/2018 | Dans Stéphanie Beaudoin
C’est peut-être un étrange réflexe que de s’imaginer la face cachée de la Lune comme étant obscure et froide.
Et s'il en était autrement ?
Suffisamment autrement pour nous dépayser, nous faire croire en autre chose, nous éloigner du cynisme ambiant.
crédit photo : Sébastien Raboin
D’autres ambiances, il y en aura. Isabelle Blouin-Gagné, Cylia Themens et Rémy Vaillancourt nous présentent près de 20 tableaux aux couleurs diverses, chacun aux confluents de la poésie, de la musique et du théâtre. À la jonction de leurs trois univers, ils en font naître de nouveaux, jamais encore explorés, tout à découvrir pour la spectatrice ou le spectateur en quête de dévoiler La face cachée de la Lune et autres clairs-obscurs.
THÉÂTRE Réflexions sur la pratique REGARDS sur le MONDE Le Bic